dimanche 17 avril 2011

Babbage : père visionnaire de l'informatique


Il manquait à l'industrie de l'informatique moderne un père fondateur. Elle adopta Charles Babbage. Avait-elle de bonnes raisons ? S'il ne réussit jamais à mener à bien ses projets de machines, ses plans avaient sans doute de quoi séduire les informaticiens d'aujourd'hui.



Pour justifier le propos, il suffisait de trouver l'occasion. En 1991, c'est chose faite. On célèbre donc, en grande pompe, le bicentenaire de la naissance de Babbage. Les grandes sociétés informatiques financent la construction de sa machine, d'après ses plans originaux, et parrainent l'exposition commémorative du Musée des sciences de Londres.

La presse salue « l'architecte de l'informatique moderne ». Et la Poste britannique le fait entrer au panthéon de la philatélie, pour 22 pence. Un jeu de quatre timbres commémore les réussites scientifiques du pays : Charles Babbage, Michael Faraday (l'électricité), dont il partage le bicentenaire, Franck Whittle (le moteur à réaction) et Robert Watson-Watt (le radar). En élevant Babbage au rang de héros national, l'industrie s'identifie ainsi ouvertement à une figure historique du siècle dernier.

Parce que trop récente, l'industrie de l'informatique sait qu'elle manque de références au passé. Dans les salles de conseil, point de ces portraits de lointains pères fondateurs veillant sur les faits et gestes de leurs descendants. Point de noble plaque, « Fondée en 1752 ». Dans notre culture où le passé a le pouvoir de légitimer le présent, Babbage a donc été reconnu comme le père de l'industrie de l'informatique moderne. Pourvue de ces lontaines racines, elle est alors devenue une industrie respectable et sûre, dotée de solides fondations. Elle a cessé d'être cette parvenue de l'industrie, à la conquête de nouveaux marchés. Prodigieux bond en arrière que celui qui nous ramène soudain à Babbage. Post hoc, ergo propter hoc : à la suite de cela, donc à cause de cela.

Car Babbage est bien le premier à inclure dans ses plans les principes d'un calculateur d'application générale. Ce ne sont pas de simples allusions, encore moins quelque imprécision codée de Nostradamus. Ce sont des centaines de plans qui détaillent les caractéristiques logiques essentielles de sa machine. En outre, une vingtaine de « livres gribouilles » retracent, sur des décennies, le cheminement de sa réflexion. Un travail précis, volumineux, qui fera rougir celui qui doute de sa renommée grandissante.

Qualifier Babbage de « pionnier de l'informatique » n'est donc pas hommage fortuit. Mais parce qu'il est le premier, on lui attribue aussi l'origine de l'ordinateur électronique moderne. On dit qu'il en est le père, le grand-père, l'aïeul, le grand ancêtre. La paternité vient ainsi renforcer cette notion de descendance ininterrompue. Comme si la lignée de l'ordinateur moderne ne pouvait se fonder que sur les seules suppositions de ces tribus généalogiques.

Exhiber Babbage et célébrer son histoire se trouve d'autres motifs. Entre autres, celui de l'échec de la réalisation pratique de ses projets. On met alors en cause l'ingénierie mécanique de l'époque victorienne parce qu'on la juge inadaptée à la tâche. L'argument est facile. N'a-t-on pas en effet tendance à dire de notre passé technologique qu'il est très sommaire ? Alors, des hautes sphères de la microélectronique moderne, on se laisse séduire par l'image d'un Babbage prisonnier de son monde de leviers et de rouages. Et l'on se prend à considérer ses plans, irréalisables dans ce contexte mécanique, comme les produits d'un génie visionnaire.
Nous avons réussi là où il a échoué. Pour réaliser ses rêves, Babbage a dû nous attendre, nous, les enfants du silicium. Nous nous sommes appropriés son génie en endossant ses échecs. Notre prétention à la supériorité devrait pourtant se garder de <• toute condescendance envers le passé », nous prévient, mais en vain, E.P. Thompson. Car seul le progrès nous a permis de supplanter les savoir-faire et les techniques passés.
Parce que les ordinateurs sont omniprésents, parce qu'ils s'imposent à nous, la résurgence de ce passé spécifique prend une valeur particulière. Si le monde de Babbage s'est très bien passé de l'ordinateur, nous, nous devons l'y intégrer. Et nous tentons alors de replacer dans un contexte familier ses prétentions à l'intelligence et sa souplesse de fonction. Comme il nous faut aussi maîtriser le paradoxe que constituent une fonction polyvalente et une conception fragile : s'il est en effet facile de modifier le programme de l'ordinateur, la moindre erreur de manipulation, même imperceptible, fait s'arrêter la machine.

Si le rôle de l'ordinateur n'était pas aujourd'hui aussi primordial, Babbage ne serait pas un héros national. L'histoire des débuts de la science victorienne ne lui consacrerait qu'une note de bas de page. Ses surprenantes représentations ne constitueraient qu'une curiosité raffinée. En réinventant les caractéristiques logiques fondamentales de l'ordinateur, les ingénieurs électroniciens des années 1940 - qui connaissaient très peu Babbage -nous ont amenés à reconnaître l'extraordinaire intuition de son travail.

La triste histoire des tentatives avortées de Babbage témoigne aussi des relations d'alors entre la science et l'homme. Aujourd'hui, la culture scientifique nous incite à tenir pour vrai en soi le contenu de la science. Le savoir scientifique est supposé « objectif » puisqu'il semble appartenir à l'objet et non au praticien. Si vous mesurez la tension de surface de l'eau et que je la mesure aussi, le résultat paraît identique et indépendant de nos différences subjectives. La science qui, à travers ses méthodes, peut accéder à la certitude, tout comme son contenu, libre de toute valeur, constituent ainsi les bases implicites de l'éducation scientifique moderne.
La séparation entre le contenu de la science et l'homme est désormais acquise. L'homme n'entre pas dans les sujets de prédilection de la science « dure », comme la physique. Lorsque je tombe d'un avion, un physicien ou un mathématicien appliqué, spécialisé en balistique ou en cinétique, s'intéresse à ma vitesse finale sous l'influence de la gravité, à ma densité ou à mon volume. Il s'intéresse à moi comme il s'intéresse à une pierre.
Ala fin des années 1820, époque où Darwin étudie la médecine à Edimbourg, la relation homme-science est tout autre. L'amalgame entre science et politique suscite de féroces polémiques. La science et ses preuves pénètrent les débats sociaux au même titre que la religion, la philosophie et la morale. Elle sert ainsi à dissocier mérite et privilège.

Aux privilèges héréditaires, aux protections et aux faveurs, on oppose la phrénologie. Les talents de chacun ne se jugent pas à la forme du crâne ; les relations sociales et les « naissances nobles » ne dotent pas automatiquement de talents supérieurs. Au capitalisme, on fournit une justification morale en recourant à la première théorie de l'évolution et à ses notions de compétition entre les espèces - la nature accordant à tous une liberté compétitive. Aujourd'hui, le débat a évolué. Il a aussi quelque peu perdu de sa charge politique. Intellectuels, artistes et écrivains ont récemment commencé à explorer les relations entre la mécanique quantique moderne et le post-modernisme.

En 1833, William Whewell crée le terme « scientifique ». Dans un essai sur la professionnalisation de la science, Jack Morell note qu'il sert alors à distinguer ceux qui explorent le monde matériel de ceux qui traitent des domaines littéraires, religieux, moraux et philosophiques. Le terme, dès l'origine, a une fonction de séparation. Quelque temps après, émerge la notion de pluralité des sciences, adoptée très vite par la première élite victorienne.

Tout ce qui est connu ou peut l'être peut se maîtriser. Être un je sais tout n'est pas encore présomptueux.
Mais à l'époque de Babbage, au moment où la science se fragmente en spécialisations, il devient inconcevable qu'un seul praticien puisse maîtriser l'ensemble du savoir scientifique. De facto, la spécialisation proscrit l'ignorance savante. Le concept d'unicité de la science vole en éclats en même temps qu'elle se développe. Science et religion s'accusent de tous les maux et se disputent le contrôle de l'ordre du monde. La géologie condamne, preuves à l'appui, les leçons de théologie naturelle sur l'âge de la terre. Les théories de l'évolution prédarwinienne viennent se dresser contre le Livre de la Genèse.

On parle aussi des miracles. S'ils gênent la science rationnelle, étant, par définition, des événements de cause inconnue, ils sont, pour la religion, les preuves manifestes de l'omnipotence divine et assurent... d'excellentes Relations Publiques.

Parce que les perturbations, les singularités et les phénomènes imprévisibles défient la rigueur des doctrines déterministes, la science se voit donc contrainte de s'attaquer aux miracles. Elle ne s'y attelle qu'en dilettante, et surtout, avec un incroyable manque d'imagination. Certains, dont Babbage, tentent, avec d'infinies précautions, d'expliquer les événements miraculeux par la théorie de la probabilité. En attribuant au terme « miraculeux » le sens de « improbable », les phénomènes sans cause évidente entrent alors dans le domaine des statistiques.

Pour Babbage, il s'agit de comparer la probabilité mathématique de survenue du miracle lui-même avec celle d'avoir, parmi les multiples dépositions recueillies, des témoignages authentiques - c'est-à-dire ni falsifiés ni erronés. Bien qu'obscur, le raisonnement aurait certainement séduit le Gradgrind de Dickens. Tenter de réduire le miracle à un nombre prouve en effet un courage manifeste ! Sur sa lancée, Babbage évalue aussi la probabilité numérique de la Résurrection : 1 sur 200 000 millions ! D'aucuns y verront peut-être une allusion à l'absurdité swiftienne Mais pour ce fervent rationaliste, il n'en est rien : les plus grandes vérités sont mathématiques et seules les preuves empiriques fournissent les bases solides de la croyance.

C'est ainsi que sa machine à différences va illustrer avec force le rôle joué par un objet dans l'histoire des idées. Après dix années de conception et de fabrication, elle ne fonctionne pas. La crédibilité de Babbage s'effrite. Pour redorer son blason, il charge son ingénieur, Joseph Clément, d'assembler une petite section de la machine à différences n° 1, à partir des centaines de pièces détachées déjà achevées.

En 1832, « la portion finie de cette machine non achevée », est exposée dans l'atelier de sa maison de Dorset Street, à Marylebone. Les samedis soirs, Babbage y reçoit l'élite sociale, littéraire et intellectuelle londonienne venue admirer les curiosités artistiques ou scientifiques. Si certains membres de ce groupe privilégié viennent dans l'espoir d'exposer leurs inventions et leurs projets au gratin de la science, de la littérature et des arts, d'autres ne se préoccupent guère de l'avancement de l'esprit. Ainsi, le géologue Charles Lyell presse-t-il Babbage d'inviter le colonel Codrington, de passage en ville, dont on dit la femme « très jolie ». Le même Lyell pousse Darwin, de retour de ses cinq années d'aventure sur le Beagle, à assister aux soirées de Babbage où il pourra y côtoyer l'intelligentsia du moment et surtout, de « jolies femmes ».

Pour divertir et instruire ce beau monde, Babbage met en scène sa machine à différences. Grâce à elle, et devant un public émerveillé, il entend réconcilier les notions d'ordre rationnel et d'événements miraculeux. La machine suit une règle simple. À chaque manœuvre de la manivelle, les nombres gravés sur les roues croissent de deux en deux. Captivés, les spectateurs voient défiler la séquence : 0,2,4, 6... Après plusieurs répétitions, la confiance gagne les invités. Tous sont capables de prédire le nombre suivant.

Et pourtant, après une centaine de répétitions, il se produit un événement remarquable. Par la simple action de la manivelle, et sans aucune intervention sur la machine elle-même, le nombre croît, non plus de 2, mais de 117. Vous voyez, dit Babbage en se retournant, pour vous, spectateurs, ce bond apparaît comme une violation de la loi, c'est-à-dire de la loi de progression de 2 en 2. Mais, avant la démonstration, j'ai programmé la machine de sorte qu'après 100 répétitions, il s'ajouterait non plus 2 mais 117. Pour moi, le programmateur, la discontinuité n'est pas une violation de la loi mais la manifestation d'une loi supérieure, connue de moi seul. Par analogie, conclut-il, les miracles de la nature ne sont pas des violations des lois naturelles, mais la manifestation d'une loi supérieure, celle de Dieu, inconnue jusqu'alors.

Les anomalies apparentes de la nature sont ainsi des discontinuités programmées. Et Dieu est un programmateur. L'argument a dû flatter et rassurer l'industrie informatique. Dieu, lui aussi, s'est initié à l'ingénierie de contrôle! Il revient régulièrement sur terre pour contrôler les déviations empiriques de son grand dessein qu'au besoin, il peut adapter. Que de telles déviations puissent compromettre la perfection divine ne semble guère troubler Babbage. Car enfin, l'empirisme ne constitue-t-il pas l'idéal suprême auquel tout homme aspire?

La machine exposée par Babbage est sans doute l'icône la plus vénérée de la préhistoire de l'informatique. Premier calculateur performant, il symbolise le début de l'ère du calcul automatique. Pour la première fois, un appareil matérialise, avec succès, la règle mathématique. Nul besoin de connaître ses fonctionnements internes ou les principes mécaniques sur lesquels il est basé. Par un simple effort physique - actionner une manivelle - on peut parvenir à des résultats utiles qui, jusqu'alors, ne s'obteriaient que mentalement. Dire que la machine « pense », comme l'a fait Lady Baron - la mère d'Ada Lovelace est irrésistiblement tentant. « Le merveilleux tissu cérébral avait été remplacé par du laiton et du fer, il (Babbage) avait appris aux rouages à penser », écrira Harry Wilmot Buxton, après la mort de Babbage en 1871.

Bien que l'on n'ait pas encore d'idées précises sur ses implications, la métaphore de l'intelligence mécanique est clairement mise en évidence. La machine de Babbage n'est pas la première machine automatique du mouvement industriel. Elle prend place aux côtés des horloges, des trains, des machines textiles et autres appareils et systèmes. En revanche, elle est exceptionnelle au regard de l'activité humaine qu'elle remplace. Les machines textiles ou les trains se substituent à une activité physique. La machine de 1832, elle, matérialise l'incursion de la mécanique dans la psychologie.

S'il maîtrise la conception J mécanique, Babbage n'entend rien à la politique. Doué pour les machines, il ne l'est guère pour les relations humaines. Préférant s'en remettre à d'autres pour la description et la promotion de son travail, il ne publie presque rien de ces années de développements brillants et détaillés de ses machines à calculer. Susceptible, fier et droit, il déteste faire sa propre publicité.

Lors de l'Exposition de 1862, alors qu'il exécute une démonstration de sa machine auprès d'un groupe d'amis, il est pris à parti par des membres du public. A deux reprises, ils l'interrogent sur les célèbres croisades qu'il mène contre les nuisances publiques, en particulier les joueurs d'orgue de Barbarie. Froissé, Babbage se tiendra dès lors en retrait de sa machine, laissant à Wilmot Buxton et à l'ingénieur William Gravatt le soin d'en organiser les futures démonstrations.

En 1833, Babbage tente, une dernière fois, de construire sa machine, et échoue. Les circonstances sont alors complexes : une dispute insoluble avec son ingénieur qui lui réclame de l'argent pour avoir déménagé de l'atelier de Lambeth à celui de chez Babbage, à l'épreuve du feu ; un manque de progrès crédibles ; des difficultés financières récurrentes.

Dans ce récit embrouillé, l'impossibilité de la réalisation technique de la machine n'est jamais invoquée pour expliquer l'arrêt du travail. Une question commence à tourmenter certains disciples de Babbage. La complexité des circonstances entourant l'abandon du projet cache-t-elle une impossibilité technique ou un défaut logique des plans de Babbage? En d'autres termes, si sa machine avait été construite, aurait-elle fonctionné? Babbage, rêveur dépourvu de sens pratique ou concepteur de génie? La question est restée ouverte plus de 150 ans.

Un concours de circonstances permit de réaliser une expérience unique qui allait peut-être y répondre. Le bicentenaire de la naissance de Babbage donna l'occasion d'une reconnaissance publique qu'un consortium de sociétés informatiques accepta de financer. Grâce aux nombreuses reliques mécaniques et archives du Musée des sciences, nous avons construit la machine à différences de Babbage n° 2, à partir des plans originaux. Longue de 3,5 mètres, haute de 2,3 mètres, elle est composée de 4000 pièces de fer coulé, de bronze et d'acier, pour un poids légèrement inférieur à 3 tonnes. L'une de ses remarquables caractéristiques réside dans un ensemble de barres d'acier disposées en hélices verticales qui tournent comme des faux tourbillonnantes.
Sa réalisation est venue couronner 6 années de projet : collecte des fonds, interprétation des plans originaux, spécification et fabrication des pièces, assemblage et ajustage. L'épopée de la construction fut digne de Babbage lui-même : problèmes pour obtenir l'argent, difficultés techniques, faillite soudaine de la société chargée de produire les pièces, et multiples courses jusqu'au bureau de poste pour envoyer les descriptions précises et les ordres de commande avant la date limite des contrats.

La machine a effectué son premier calcul complet en novembre 1991, un peu plus d'un mois avant le 200e anniversaire de sa naissance. Fonctionnant remarquablement, elle calcula avec une précision de 31 chiffres. En achevant sa machine, nous avons peut-être permis à Babbage de reposer en paix. Nous avons tenté d'effacer sa propre y épopée, restée, sans doute, l'épisode le plus douloureux de sa vie.

Car Babbage ne cessa de s'indigner du peu de considération de l'Angleterre pour la science. Il déplora longtemps l'absence d'esprit d'entreprise de son pays et l'habitude perverse des Anglais de rejeter un appareil bon pour une chose parce qu'il ne l'est pas pour une autre.

« Proposer à un Anglais un principe ou un instrument, quelle que soit ses qualités, et vous observerez que tout esprit anglais s'efforce de trouver une difficulté, un défaut, ou une quelconque invraisemblance à l'intérieur. Si vous lui parlez d'une machine à éplucher les pommes de terre, il la déclarera inutile : si vous pelez une pomme de terre devant lui, il confirmera son inutilité parce qu'elle ne peut pas découper un ananas », écrit-il en 1852.
Que Babbage se rassure. La machine construite au Musée des sciences a révélé une somptueuse pièce de sculpture mécanique. Et personne ne doute qu'elle puisse calculer avec une précision infaillible tout en découpant un ananas monté sur le mécanisme.

Les machines de Babbage

Babbage ne faisait guère confiance aux tables mathématiques imprimées, notamment celles destinées à la navigation (elles permettaient de déterminer la position des bateaux en fonction de celles des étoiles). C'est ce qui le poussa à concevoir ses machines. A cette époque, on élaborait ces tables suivant des méthodes manuelles. Les calculs eux-mêmes étaient exécutés papier et crayon en main, par ceux que l'on appelait des « calcula-teurs ». Séparés en deux groupes, ils effectuaient les mêmes calculs sans se concerter. Leurs résultats étaient ensuite comparés, corrigés, puis transcrits à la main. De là, on procédait à la composition des résultats en utilisant un caractère pour chaque chiffre. Enfin, on vérifiait une dernière fois les épreuves imprimées. Chaque étape de ce processus était laborieuse, répétitive et inévitablement soumise au risque d'erreur humaine. On en prit vraiment conscience dans les années 1820, lorsqu'on réalisa que ces tables étaient truffées de fautes.
« Plût à Dieu que ces calculs aient été exécutés par une machine à vapeur », s'exclama Babbage, en 1821, après avoir relevé d'innombrables incohérences. Ce fut alors le point de départ de ses longs - et vains - efforts consacrés à la construction de ses machines à calculer. Il en élabora deux types : les machines à différences et les machines analytiques. Les premières étaient conçues pour produire des tables mathématiques exactes. Une priorité pour les navigateurs. Officiellement, cette machine devait écarter, dans la production de ces tables imprimées, le risque d'erreur humaine. Mais idéalement, elle devait en éliminer définitivement toute source. D'une part, la machine calculerait avec une précision infaillible. D'autre part, un système de stereotypic intégré à son mécanisme imprimerait automatiquement les résultats sur des matrices, à partir desquelles seraient directement produites des plaques destinées à l'impression. Ce procédé supprimerait le risque d'erreur inhérent à la transcription et à la composition. Dans la séquence de calculs, chaque résultat tabulé dépendait de celui qui le précède. De fait, si le résultat final était correct, cela signifiait que tous les précédents l'étaient aussi. Ainsi, la machine serait capable de s'autocontrôler.
Babbage la baptisa « machine à différences » parce qu'il l'avait basée sur la méthode des différences finies111. Déjà bien connue, elle était utilisée par les calculateurs pour établir leurs tables. Elle permettait de trouver la valeur d'expressions mathématiques complexes comme les polynômes, en effectuant une addition. Ni multiplication, ni division n'étaient plus nécessaires. Un atout non négligeable, ces deux opérations étant plus difficiles à mécaniser que l'addition.
Babbage a concentré tous ses efforts sur la machine à différences n° 1, conçue en 1821. Elle devait comporter 25 000 pièces. Commencée au début des années 1820, sa fabrication s'arrêta en 1832, à la suite d'un désaccord entre Babbage et son ingénieur, Joseph Clément.
Dans la version de 1830, la machine à différences devait mettre en tableau des fonctions polynomiales de degré 6, et produire des résultats d'une précision à 16 chiffres. Au moment où sa construction fut abandonnée, quelque 12 000 pièces avaient déjà été fabriquées mais pas assemblées. La plupart furent ensuite refondues. Toutefois, environ 2000 d'entre elles servirent à assembler une petite machine de démonstration. Véritable prouesse technique pour l'époque, cet appareil fonctionne encore parfaitement aujourd'hui. Il est le premier calculateur automatique qui mécanise avec succès une règle mathématique. En se basant sur une conception simplifiée et plus élégante, Babbage élabora les plans (de 1847 à 1849) d'une machine plus perfectionnée encore : la machine à différences n° 2. Seulement 4000 pièces pour un peu moins de trois tonnes... Elle pouvait traiter des fonctions polynomiales de degré 7 et calculer avec une précision de 31 chiffres. Du vivant de Babbage, aucune tentative ne fut faite pour la construire. Ce n'est qu'en 1991 que le Musée des sciences de Londres, à l'occasion du bicentenaire de la naissance de Babbage, se lance dans l'entreprise. Ainsi se concrétise, pour la première fois, l'un des grands projets de Babbage.
Les machines à différences forment ce que nous appellerions aujourd'hui des calculateurs : elles comportent un ensemble fixe d'opérations arithmétiques, qui ne peut être modifié. En revanche, sa seconde grande invention, la machine analytique, est une machine d'application générale. Il en établit les bases théoriques en 1833-1834. Quatre ans plus tard, il a résolu ses caractéristiques logiques et mécaniques. Sa fonction : trouver la valeur de toute expression mathématique pour laquelle l'algorithme peut être déterminé. Bien qu'entièrement mécanique, elle contient déjà la plupart des principes des ordinateurs modernes. C'est sur cette conception révolutionnaire que repose la réputation de pionnier de l'informatique de Babbage.
La machine comportait les quatre opérations de base : multiplication, division, soustraction et addition. Elle devait être programmable à l'aide de cartes perforéesl2), dont la disposition des trous matérialisait le « programme ». Grâce aux instructions que celles-ci fournissaient, toutes les opérations pouvaient être effectuées dans n'importe quel ordre, avec des séquences de calculs de toute longueur. La machine était capable d'itération (répétition d'une même série d'opérations un nombre de fois déterminé) et de branchement conditionnel (choix d'une voie de calcul ou d'une autre en fonction du calcul à produire). Son architecture physique et logique montrait ce qu'appelait Babbage un « magasin » (mémoire) et un « moulin » séparé (processeur). La séparation de ces deux éléments est l'une des composantes déterminantes des structures électroniques actuelles, réinventée dans les années 1940. On ne dispose d'aucun dessin définitif et complet. Mais ceux que Babbage effectua à partir de 1840 représentent une version déjà aboutie de cette machine, qu'il tentera jusqu'au bout d'améliorer. Révolutionnaire et imposante, la machine analytique ne fut jamais construite, à l'exception d'une petite partie expérimentale, en cours de construction au moment de sa mort.








Psion - De nouveaux horizons


Psion a toujours été étroitement associée à Sinclair et lui a fourni différents programmes. Récemment, la compagnie s'est tournée vers les progiciels, et a lancé l'ordinateur de poche Organiser.




Psion fut fondée en 1981 par le Dr David Potter, assistant à l'Impérial Collège de Londres. Elle sortit d'abord quatre programmes destinés au ZX81, qui venait de faire son apparition : un simulateur de vol, un jeu de backgammon et deux logiciels « sérieux », Vu-Calc (un tableur) et Vu-File (une base de données). Tous quatre avaient été rédigés par Charles Davies et Colly Myers. Leur qualité était telle que la réputation de la firme fut aussitôt établie. C'est pourquoi, l'année suivante, Sinclair Research décida de lui confier la création d'une cassette qui devait faire la démonstration irréfutable des qualités du Spectrum sur le marché des micro-ordinateurs.

Les ordinateurs de Sir Clive ayant connu un énorme succès en Grande-Bretagne, Psion put ainsi bénéficier d'un très vaste marché. On estime par exemple que le programme de simulation de vol (versions ZX81 et Spectrum confondues) s'est vendu à plus de 500 000 exemplaires, tandis que les ventes de l'ensemble du catalogue de la firme représentent plus de trois millions de cassettes... La création récente des logiciels de la gamme « Xchange » indique que Psion entend s'implanter sur le marché de la gestion informatisée, qui, en Grande-Bretagne seulement, représente plus de deux milliards de francs par an.

La société a toujours cherché à innover : elle fut l'une des premières à généraliser l'emploi de la « compilation croisée », au cours de laquelle un programme destiné à une machine est mis au point sur une autre. « Horizons », le programme de démonstration du Spectrum, a ainsi été rédigé sur un TRS-80. Aujourd'hui, Psion est passé au stade supérieur, et fait usage de deux miniordinateurs VAX 750.

C'est avec eux qu'ont été créés les quatre logiciels qui sont fournis avec le QL : Abacus (un tableur), Archive (une base de données), Easel (un programme graphique) et Quill (un traitement de texte). La firme a même mis sur pied, outre-Manche, un service appelé QLUB, qui garantit une réponse par lettre, sous quarante-huit heures, à toute demande de renseignements de la part des possesseurs de QL.

Diversification

Des programmes de gestion destinés à l'IBM PC, à l'Apricot, au Sirius, au Rainbow de DEC et au Macintosh sont actuellement en cours de création. Ils contiennent la gamme « Xchange », et sont très semblables à ceux qui accompagnent le QL. Psion déclare que leur supériorité, par rapport aux progiciels classiques, vient de la facilité avec laquelle on peut transférer les données de l'un à l'autre.

Le lancement récent de l'ordinateur de poche Organiser n'a pas manqué de surprendre beaucoup de gens, pour qui Psion reste avant tout une firme productrice de logiciels. Mais les responsables expliquent : « Psion est, en effet, une compagnie qui édite des programmes. L'Organiser nous a paru avant tout être une très bonne idée de présentation et d'utilisation de ces programmes. Il n'existait rien de comparable, alors nous avons construit notre propre appareil, mais la mise au point a toujours été conçue en fonction du logiciel. » Comme quoi, même outre-Manche, on n'est jamais mieux servi que par soi-même!

Pour le moment, l'Organiser ne peut encore mettre en œuvre que trois programmes d'application (sciences, mathématiques et finances), ainsi que des blocs-mémoire RAM de 8 et 16 K (les « datapaks »). Mais la firme compte bien en produire d'autres, et a déjà été contactée par des programmeurs indépendants.

Enfin la société cherche à accroître sa part de marché : elle a récemment créé des filiales aux États-Unis et en Afrique du Sud, tout en signant des contrats pour la distribution de ses produits dans toute l'Europe. Sinclair Research vient d'aborder le marché d'Europe de l'Est en exportant quatre cents ZX81 vers la Tchécoslovaquie, et Psion, qui prévoit le lancement de versions en langues étrangères de certains de ses titres, aura sans doute son mot à dire dans ce développement international du leader britannique.


Le créateur

Universitaire spécialisé dans la physique de l'informatique, qu'il enseigna à l'Université de Californie et à l'Impérial College de Londres, le Dr David Potter fonda Psion (au départ Potter Scientific Investments), et reste son principal actionnaire.

Un ensemble intégré
La gamme Xchange de Psion est un ensemble de logiciels de gestion intégrés, créés à partir des quatre programmes créés pour le QL. Quill est un traitement de texte, Archive une base de données, Abacus un tableur utile pour les prévisions financières, et Easel un logiciel de création graphique. Tous quatre peuvent être achetés ensemble ou séparément. Ils sont disponibles pour l'IBM PC et PC XT, pour l'Apricot et le Sirius 1, tandis que des versions sont prévues pour le Macintosh d'Apple et le Rainbow de DEC.


Prism - De toutes les couleurs


La société Prism est un exemple en Grande-Bretagne. Elle a joué un grand rôle dans la mise sur pied du réseau Micronet. Elle s'oriente actuellement vers la diffusion des robots domestiques.




La plupart des compagnies liées à l'informatique travaillent à très court terme, et se bornent à satisfaire les besoins courants en matériel et en logiciel. Mais Prism, en Grande-Bretagne, voit plus loin. Outre un catalogue très important du matériel, la firme a été l'un des créateurs de Micronet — la première grosse base de données accessible aux simples particuliers — et a déjà commencé la commercialisation de robots bon marché.

La compagnie a été créée en 1982 par les publications EEC afin de mettre sur pied Micronet. Richard Heath et Bob Denton en devinrent les directeurs. Micronet passe par Prestel (équivalent à notre Télétel en France), le plus gros système vidéotex de Grande-Bretagne, afin de proposer aux usagers toutes sortes de services : transfert de programmes, accès aux informations, échange de « courrier électronique ». Les publications EEC avaient déjà lancé Sinclair User, une revue mensuelle, alors que les produits de Sir Clive n'étaient encore disponibles que par correspondance, ou chez les détaillants de la chaîne WH Smith. Le magazine connut un succès prodigieux, en dépit du scepticisme de Terry Cartwright, aujourd'hui directeur du marketing de Prism : « Je pensais alors que ce ne serait qu'un feu de paille. Mais quand nous sommes allés à la première ZX Microfair, nous avions emmené 8 000 bulletins d'abonnement et les gens faisaient la queue tout autour de l'immeuble : en quelques heures nous avons épuisé tous nos bulletins. »

Sinclair ayant ensuite décidé d'approvisionner les détaillants, Prism signa un contrat avec lui afin d'assurer la distribution du ZX81 et du plus récent Spectrum. En fait, le nom de la compagnie avait été délibérément choisi pour évoquer dans l'esprit du public l'idée d'une association étroite : un rayon de lumière qui passe à travers un prisme (Prism) fait naître tout un spectre (Spectrum) de couleurs! La firme déclarait récemment avoir vendu plus de 500 000 appareils, soit près du quart du marché anglais de la micro-informatique.
En mars 1983, Prism lança Micronet. La société s'occupa essentiellement du matériel, proposant des modems (fabriqués par OE Ltd. et Thorn EMI) pour les ordinateurs les plus répandus. Elle en a récemment commercialisé un destiné au Commodore 64.

Micronet a déjà près de 10 000 abonnés ; mais Prism a récemment vendu les parts qu'elle détenait dans le réseau, et se concentre actuellement sur la distribution et la vente du matériel. Outre le Spectrum, elle met en vente l'Oric et l'Atmos, ainsi que le Wren, un ordinateur de gestion portable créé par son propre service de recherche. Fabriqué par Thorn EMI, l'appareil est enfin disponible, après des retards liés à la production.
Prism se tourne aussi vers un secteur en rapide expansion, celui des robots domestiques. Elle vend aussi bien « Topo », un modèle d'origine américaine (plus de 20 000 F) que des kits très bon marché, les « Movits » (entre 200 et 500 F environ).

Terry Cartwright explique : « Les robots soulèvent un intérêt énorme. Je ne sais pas ce que les gens en feront, mais après tout, en 1976, personne n'avait la moindre idée de ce qu'on pourrait bien faire avec un Apple. » Prism espère par ailleurs distribuer le QL, le tout nouvel ordinateur Sinclair. Cette politique de diversification — et d'expansion à l'étranger — devrait se poursuivre dans les années à venir.


Audiogenic - Par la bande


Audiogenic s'est fait une bonne réputation par ses programmes destinés aux ordinateurs Commodore. Cette société distribue aujourd'hui aussi bien des logiciels que des périphériques.




Martin Maynard, fondateur et responsable du management d'Audiogenic, décrit sa compagnie comme étant « une firme de production et de distribution ». Lui-même travailla d'abord pour l'industrie du disque, et, vers le début des années soixante-dix, créa à Reading un studio d'enregistrement, ainsi qu'une petite installation permettant la duplication des cassettes.

Tout vint de là; en 1978, Audiogenic se vit demander par les responsables régionaux de l'électricité britannique la livraison de copies d'un logiciel pour ordinateur. La firme acquit un nouvel équipement pour satisfaire à la demande, et signa peu après un contrat avec Commodore, afin d'assurer la duplication des programmes destinés au micro-ordinateur PET.

Audiogenic prit ensuite en main la distribution et la mise en vente du catalogue Commodore, vendant aussi des livres et des revues spécialisées. Après le lancement du Vic-20 en 1981, Maynard décida d'acquérir les droits des programmes réalisés pour cet appareil par des firmes américaines. Aujourd'hui encore, ils représentent 80 % du catalogue de la firme, et entre 85 et 90 % de son chiffre d'affaires annuel, qui atteint près de vingt millions de francs.

Maynard estime qu'Audiogenic a d'ores et déjà produit plus d'un million de cassettes. « Notre point fort, c'est l'étendue de notre catalogue. De cette façon nous sommes mieux à même de comprendre l'évolution du marché. » Et il ajoute : « Cela fait six ans que nous sommes de la partie, et nous avons eu le temps de savoir ce qui se passe. Si l'on prend l'ensemble des programmes distribués l'année dernière, 20 à 30 pour cent d'entre eux encombrent encore les rayons. Les auteurs perdent peu à peu le contact avec le public. »

C'est là une approche prudente, qui ne met en avant que des produits testés et bien au point, en opposition complète avec la politique du « tout ou rien » chère à bien des firmes. David Smithson, responsable des produits, remarque : « Nous ne sommes pas le genre à nous acheter des Porsche. Il y a vraiment des compagnies qui font tout pour faire la culbute. »

Des activités diversifiées

Audiogenic emploie actuellement vingt-cinq personnes; mais Dave Middleton, le principal programmeur de la firme (auteur de Magpie, une base de données remarquable), ne travaille qu'au contrat. Les programmes édités par la compagnie sont essentiellement des utilitaires. Maynard explique : « Les ordinateurs auront toujours un côté ludique, mais en ce moment l'intérêt pour les jeux disparaît peu à peu, et les logiciels seront bientôt des outils bien plus utiles. Quand un produit se vend à deux cents ou trois cents exemplaires par mois, on peut penser que ce n'est pas beaucoup. Mais il continuera à se vendre au même rythme pendant une année entière. »

Cela ne veut pas dire qu'Audiogenic néglige entièrement le marché des jeux. Motor Mania a été un très gros succès, et récemment la firme a lancé Alice in Videoland, un programme d'origine américaine et destiné au Commodore 64, et qui n'occupe pas moins de 90 K !

Audiogenic s'est récemment installé dans des bureaux plus vastes, et a également renouvelé son matériel de duplication. Un programme est ainsi reproduit à de nombreuses reprises sur une bande magnétique continue, qui est ensuite découpée et placée à l'intérieur d'une cassette. C'est un procédé bien plus rapide et efficace : auparavant il fallait dupliquer chaque cassette séparément, d'où des problèmes de stockage et d'encombrement.

Tout en continuant à distribuer des produits réalisés par d'autres compagnies, qu'elles soient britanniques ou américaines, la société Audiogenic entend diversifier ses activités, c'est ainsi qu'elle a mis en vente Koala Pad, une tablette graphique mise au point aux États-Unis. Elle prévoit de la même façon le lancement des logiciels pour les ordinateurs MSX, ainsi que pour le futur Commodore 16.


Un peu d'air

Les bureaux d'Audiogenic sont situés à Sutton Park, en dehors de Reading. La compagnie s'est installée là en avril 1984 ; ses anciens locaux, au centre de Reading, n'étant plus suffisants.


Le créateur

Martin Maynard a fondé Audiogenic au début des années soixante-dix. Ce n'était alors qu'un simple studio d'enregistrement.


Artic Computing - l'effet boule de neige


Artic Computing est un exemple de réussite à retenir. Avec 200 F en 1981 et ses dix-huit ans, Richard Turner a réalisé en 1983 près de 1 million de francs de chiffre d'affaires.




Richard Turner commença d'écrire des programmes en 1980, à l'intention du ZX80. Ses premiers jeux furent Battleships et Star Trek. Les limitations de l'appareil le poussèrent vers les jeux de stratégie, et non d'arcades : « Chaque fois que quelque chose bougeait sur l'écran, le ZX80 effaçait tout, et on ne pouvait donc créer que des jeux de réflexion. Les jeux d'arcade sont venus avec le Spectrum. »

Un programme d'échecs, lancé lors de la première exposition de produits consacrés au ZX, en été 1981, fut son premier grand succès. Turner risqua son va-tout : « La nuit d'avant, nous étions là à copier des cassettes, à l'aide de sept ZX81, et nous les mettions dans des sachets en plastique, avec des instructions que nous avions reproduites sur la photocopieuse de l'école. » Ces efforts ne furent pas vains; Turner ajoute qu'il en vendit pour plus de deux mille francs ce jour-là.

Artic Computing devint une S.A.R.L. la même année, mais son animateur fut contraint de la mettre en sommeil lorsqu'il accepta une bourse de Ford Motor Company afin de suivre des cours d'ingénierie électrique à l'Impérial Collège de Londres. Toutefois ses études ne durèrent qu'un an; Turner décida d'abord d'arrêter un moment, pour pouvoir s'occuper de sa compagnie, puis renonça à toute idée d'études supérieures.

Le siège social de la firme fut d'abord la chambre qu'occupait Richard dans la maison de ses parents, à Hull. Mais le catalogue de logiciel Artic atteignit bientôt 93 titres, et Turner estima qu'il lui fallait des locaux bien à lui. En juillet 1983, il s'installa donc dans des bureaux qu'il occupe encore aujourd'hui, à Brandesburton, Humberside. Artic a embauché du personnel : quinze personnes en tout, dont trois employés chargés des expéditions, et cinq programmateurs à plein temps, qui touchent un salaire fixe, plus des droits d'auteur.
Turner cherche aussi à implanter un réseau de boutiques, les « Artic Software Stations », à travers toute l'Angleterre. Elles ne se limiteront pas aux jeux de la compagnie, et vendront aussi ceux des autres firmes. La première s'est ouverte à Acton, dans le West End londonien, en juillet 1984; elle sert aussi de siège social à la filiale d'Artic à Londres. Délibérément, elle a été installée en dehors des centres commerciaux. Jeff Raggett, le directeur du marketing, précise à ce sujet : « Une boutique dans ce genre d'endroit coûterait les yeux de la tête, bien plus que ce que nous avons à débourser ici, ce qui fait qu'il est beaucoup plus facile de couvrir les frais. On nous a traités de malades parce que nous ouvrions des boutiques, mais au moins nous pourrons voir ce qui se vend, et discuter avec les clients de ce qu'ils aiment dans les jeux. »

Autre innovation, des présentoirs pouvant accueillir jusqu'à 64 cassettes. Ils sont vendus aux marchands de journaux; les clients peuvent ainsi s'approvisionner directement, sans avoir à se rendre chez les revendeurs spécialisés. Selon Jeff Raggett, l'opération a été un grand succès.

Artic a enfin l'intention de prendre une place sur les marchés étrangers, et prospecte en Europe pour y parvenir. Aux États-Unis elle a signé un contrat avec deux firmes cotées, Softsync et International Publishing Corporation qui établit un réseau de distribution réciproque.

Les plus gros succès d'Artic à ce jour sont Bear Bovver (plus de 40 000 exemplaires), Galaxians et Gobbleman. World Cup, un programme pour le Spectrum, s'est vendu à 5 000 exemplaires en trois semaines.

ERE Informatique - Une nouvelle ERE


A l'image de ce qui se passe aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, les entreprises d'édition de logiciels se multiplient en France. Pour ERE Informatique, les débuts sont prometteurs.




Parmi les éditeurs de logiciels destinés au grand public, les grands noms sont souvent associés à des grandes entreprises d'électronique ou de l'édition de livres. Hachette et Nathan, Thomson et Matra, tout le monde connaît. Pourtant, elles ne sont pas seules à vouloir occcuper le terrain de plus en plus doré de ce marché. Dans des bureaux (de fortune parfois), on crée, on produit et on édite des logiciels destinés à l'éducation, aux jeux, à la gestion personnelle, et cela à Paris, à Toulouse, à Lyon ou à Nancy.

Pour la plupart de ces petites entreprises qui sont nées avec la première grande percée des « octets » dans les foyers, le téléphone arrive souvent en même temps que le visiteur! Le cliché n'est pas déplacé. Emmanuel Viau ne le cachait pas lorsqu'il ouvrait, il y a moins d'un an, un local dans le 8e arrondissement de Paris, à l'enseigne de « ERE Informatique ».

Cet homme de 24 ans découvre l'informatique pendant son service militaire et, avec sa solde, il achète un ZX 81. Il est touché par la grâce de l'informatique. Retourné à la vie civile, il suit un stage accéléré chez Control Data et se met rapidement à écrire des programmes de jeu. Mais à l'époque, en France, le système éditorial n'avait pas encore saisi l'intérêt de la création informatique. Bref! Se sentant seul, Emmanuel Viau décide de créer sa propre société. L'argent vient des copains et le salon de l'appartement familial sert de premier local... Peu importe, l'idée est d'abreuver en français les ordinateurs domestiques qui commencent à envahir le marché, à l'instar de ce qui se passait déjà aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Bien sur, il n'est pas question dans l'immédiat de faire des scores de vente aussi élevés que dans ces pays, où la barre des 100 000 cassettes pour un même logiciel est souvent dépassée.

Mais on sait chez ERE Informatique s'entourer aujourd'hui de bons auteurs pour connaître de bons succès de vente. Un véritable club (à but lucratif) a d'ailleurs été créé. Et plus de dix créateurs s'y retrouvent avec comme seules obligations d'être imaginatifs et d'avoir quelques connaissances techniques. Car pour créer un logiciel, il n'est pas forcément nécessaire d'être un informaticien professionnel.

Quoi qu'il en soit, les royalties d'un auteur de logiciel tournent autour de 15 % du chiffre d'affaires réalisé sur son produit. Il n'est donc pas rare de voir certains auteurs obtenir des gains supérieurs à 20 000 francs pendant plusieurs mois de suite. Un tel résultat suscitera peut-être des vocations nouvelles. Emmanuel Viau, comme d'autres éditeurs, l'espèrent. Pour qu'une entreprise comme ERE Informatique soit rentable, aucun des domaines de l'informatique familiale n'est privilégié ou rejeté.

Si les auteurs n'ont à se consacrer qu'à la création, l'entreprise doit de son côté assurer toute la logistique, c'est-à-dire tout le processus de fabrication depuis la maquette jusqu'à la duplication en passant par la conception de la jaquette et du mode d'emploi. Ce dernier point, essentiel pour le futur utilisateur, est trop souvent oublié par les auteurs.

Reste alors la partie commerciale, la vente aux grossistes et aux importateurs, avec l'espoir toujours présent — même non exprimé —, qu'un logiciel va devenir numéro 1 au hit-parade des ventes avec la fortune à la clé. Une nouvelle ère est vraiment arrivée.


Emmanuel Viau
Dynamique créateur d'entreprise, Emmanuel Viau est un passionné d'informatique, de science-fiction et de vidéo-clips. Son aventure commerciale est un modèle du genre. Souhaitons que les jeunes informaticiens soient nombreux à l'imiter.


De bons programmes
ERE informatique, c'est avant tout une gamme d'une vingtaine de programmes originaux, rédigés pour cinq microordinateurs différents. Les premières étapes dans la constitution d'une vaste bibliothèque de logiciels français.

Dragon 32 - Tout feu tout flammes


Depuis son lancement en 1982, le Dragon 32 s'est acquis une bonne réputation. Mais de graves problèmes financiers compromettent l'avenir de la compagnie.




Dragon Data fut créée en 1981 par Mettoy, une marque de jouets. Son intention était de tirer profit du boom de la micro-informatique, qui, en Grande-Bretagne, n'en était encore qu'à ses débuts. Grâce à l'aide financière de l'Agence de Développement du Pays de Galles, une usine fut mise en route à Swansea, et le Dragon 32 apparut en août 1982.

Il était construit autour du microprocesseur 6809 de Motorola, et non du Z80 ou du 6502, comme la plupart de ses concurrents. Les circuits imprimés de l'appareil étaient même si conformes aux recommandations de Motorola qu'on accusa Dragon Data d'avoir purement et simplement copié le Color Computer de Tandy, qui lui aussi faisait usage du 6809. Les utilisateurs eurent tôt fait de découvrir que certains programmes pouvaient tourner indifféremmer sur les deux machines»

Le Dragon 32 bénéficiait d'un basic Microsoft (le dialecte basic le plus répandu) et d'un véritable clavier, type machine à écrire. A l'époque de son lancement, le Vic-20 était son seul concurrent dans cette gamme de prix. Un marketing efficace fut aussi à l'origine du succès : au cours des mois précédant Noël 1982, le Spec-trum et le BBC Micro étaient en rupture de stock, et le Commodore 64 n'avait pas encore fait son apparition. Jmm M Efí

Début 83 la firme avait déjà vendu près de trente-deux mille exemplaires du Dragon 32, en partie grâce au réseau de vente de Mettoy, dont de grands magasins comme Boots et Dixons étaient depuis longtemps de fidèles clients.

Dragon Data dut pourtant faire face à de très graves difficultés financières pendant l'été 83 : Mettoy fut mis en liquidation judiciaire, et l'avenir de sa filiale galloise paraissait compromis. Le salut vint finalement d'un consortium de compagnies menées par Prutec, une firme dépendant de Prudential, une grosse compagnie d'assurances qui s'aventurait ainsi dans le domaine de la technologie avancée. On parvint à réunir l'équivalent de trois millions de francs, à titre de « bouée de sauvetage », et Brian Moore, ancien responsable de GEC, devint directeur de la compagnie. Celle-ci put ainsi surmonter ses problèmes de liquidités, investir dans une nouvelle unité de production à Port Talbot, et poursuivre la mise au point du Dragon 64 et d'un lecteur de disquettes.

Un avenir compromis

Le Dragon 64 dispose de 64 K de RAM, d'un clavier très amélioré et d'une interface série RS232C. Le lecteur de disquettes fait usage de disquettes cinq pouces classiques, et il est commandé par un système d'exploitation qui peut tourner aussi bien sur le 32 que sur le 64. Ce dernier accepte également une version de l'OS9, un autre système d'exploitation très puissant.

Toutefois ces projets furent gravement menacés récemment, en juin 84. Prutec et l'Agence de Développement du Pays de Galles ont refusé de financer davantage. La compagnie était mise en liquidation au moment même où elle s'apprêtait à lancer trois appareils nouveaux, dont l'un au standard MSX, et d'autres produits encore. Un arrangement semble avoir été trouvé : Tandy reprenant le 32 et le 64 et GEC se chargeant des futures machines. Mais le Dragon est désormais une espèce menacée.


Un homme de talent

Richard Wadman, directeur du marketing de Dragon Data, s'apprêtait à lancer sur le marché une nouvelle gamme d'ordinateurs lorsque la compagnie se retrouva en liquidation.

Olivetti - Elégance à l'italienne


La firme Olivetti, une multinationale italienne, est parvenue à se créer une réputation de créatrice de machines à la fois élégantes et solides, et joue un rôle important en ce domaine.




En 1908, Camillo Olivetti fonda à Ivrea, une petite ville de l'Italie du Nord, une entreprise employant vingt personnes, et commença la production du premier modèle, machine à écrire de la compagnie, la Ml. A cette époque, l'économie italienne était encore largement dominée par l'agriculture, et l'industrie lourde, qui avait assuré l'essor de l'Allemagne, de la Grande-Bretagne ou de la France, n'y existait guère. Pourtant la production d'Olivetti connut une croissance continue, passant de quatre machines par jour en 1914 à cinquante en 1929.

Dans les années trente, Adriano Olivetti, le fils du fondateur, procéda à une profonde réorganisation, et embaucha comme cadres des élèves de l'école du soir de la compagnie, fondée en 1924. Une politique sociale qui évoque assez « l'emploi à vie » des Japonais fut également mise en œuvre : logements, avantages sociaux. Alors même que l'économie mondiale s'efforçait de résister à la dépression économique de l'avant-guerre, Olivetti poursuivit son essor : en 1933, la compagnie avait déjà vendu quinze millions de produits de bureau. Elle sortit en 1937 son premier téléscripteur, et en 1940 sa première calculatrice.

La guerre marqua bien entendu un temps d'arrêt, mais après 1945 la compagnie entreprit de s'étendre sur de nouveaux marchés; c'est ainsi qu'en 1948 elle s'installa en Grande-Bretagne. Son succès reposait sur des produits de qualité, au dessin particulièrement élégant; même les responsables d'IBM durent admettre que ces machines « s'harmonisaient entre elles comme les pièces d'un puzzle ».

Au cours des vingt ans qui suivirent, la firme aborda le domaine des ordinateurs, sortant une calculatrice numérique dès 1955, tandis que son premier gros système, Elea, était mis au point quelques années plus tard.
Olivetti entreprit de se diversifier davantage, renonçant à l'équipement de bureau mécanique pour passer au matériel électronique, un domaine où elle joue un rôle pilote. Une nouvelle série de mini-ordinateurs apparut, avec des terminaux destinés aux banques et des systèmes de communication.

Le catalogue actuel est particulièrement vaste — plus d'un millier de produits — et la compagnie consacre des sommes importantes à la création de logiciels pour ses machines. En 1982, Olivetti était devenu le second constructeur d'ordinateurs européen (dépassé seulement par IBM), grâce à l'ordinateur portable M10 et au M20, destiné à la gestion : tous deux se vendent particulièrement bien.

Le M10 ne pèse que mille sept cents grammes; il dispose d'un écran à huit lignes de quarante caractères. L'appareil est alimenté par piles, et a une RAM de 8 K, extensible à 64 K. Le M20 est un ordinateur de gestion 16 bits, construit autour d'un microprocesseur Z8001, qui n'a pas connu un grand succès auprès des autres constructeurs. Le M20 est également équipé d'un 8086, ce qui autorise une certaine compatibilité avec le CP/M-86 et le MS-DOS.

Olivetti prévoit aussi de lancer un compatible IBM, et annonce qu'il sera moins cher que le PC. Appelé M24, il sera doté d'un microprocesseur 8086-2 et, en option, d'une carte Z8001, afin de le rendre compatible avec le M20. Cela signifie que la firme a été contrainte d'abandonner son propre système d'exploitation, le PCOS.
Olivetti a récemment signé un contrat avec ATT (la plus grosse compagnie de télécommunications du monde), afin de collaborer à un projet de développement du système d'exploitation Unix. Il n'y a aucun doute qu'à l'avenir le réseau de vente de la firme et ses équipes de recherche et de développement lui permettront de maintenir sa réputation : des produits de grande classe, remarquablement fabriqués.

Mais remarquons que cette coopération apporte une preuve supplémentaire de l'échec d'une future information européenne.


L'élégance avant tout
Olivetti est célèbre pour le dessin très élaboré de ses produits. Ce souci d'élégance marque aussi l'architecture de ses bureaux. Celui-ci fut construit en 1959 et beaucoup de ses éléments ont été repris par d'autres architectes.


Camputers - Cambridge connection


La ville de Cambridge deviendrait-elle l'équivalent britannique de la Silicon Valley? Des firmes connues, Sinclair Research ou Acorn, et d'autres, qui le sont moins, comme Camputers, y sont déjà installées.




Camputers fut créé par un seul homme. David Greenwood commença en 1976 une carrière de concepteur en électronique, travaillant en indépendant pour des firmes comme Pye Telecoms. Quelques années plus tard, il formait sa propre compagnie, spécialisée dans des travaux de développement plus élaborés. Mais il gardait toujours une base contractuelle : Greenwood aborda ainsi le domaine du logiciel, et rédigea un programme de gestion permettant aux brasseries de contrôler leurs ventes aux débits de boissons.

La firme entreprit ensuite de créer un microordinateur. Les premiers projets eurent recours au microprocesseur Z80 de Zilog. En février 1981, Greenwood mit sur pied Camtronic Circuits (qui devint plus tard Camputers), et, grâce à un des prêts que le gouvernement britannique consentait aux petites entreprises, il commença à travailler sur le Lynx dès l'été suivant. Son but avoué était alors « d'apprendre au Z80 A à jongler avec les problèmes, et non à les bousculer ».

John Shirreff fut chargé de toutes les questions relatives au matériel; c'était un diplômé de l'université de Cambridge, mais il avait travaillé dans les milieux de la musique rock avant de rejoindre la compagnie. En Grande-Bretagne, cela ne surprend personne. David Jansons se vit confier la création de logiciels. Il écrivit la version du basic utilisée par l'appareil.

Le Lynx fut commercialisé en 1982. Il avait une allure très professionnelle : un boîtier gris très attrayant, un véritable clavier type machine à écrire, une mémoire de 48 K (extensible à 192 K), huit couleurs, une haute résolution de 248 x 256, ainsi qu'un haut-parleur intégré afin de tirer le meilleur parti de ses possibilités sonores.

Malheureusement le Lynx ne connut jamais un très grand succès en Grande-Bretagne, bien que les ventes à l'étranger aient été assez encourageantes pour que Camputers décide de mettre au point une version plus élaborée de ce modèle de base. Ce fut, peu après, le Lynx 96, qui avait plus de 37 K de RAM directement accessibles à l'utilisateur; il pouvait recourir aux disquettes 5 pouces, et se voyait pourvu d'effets sonores prédéfinis. Des interfaces (série et parallèle) pour imprimante étaient disponibles en option.

Problèmes financiers

Plus récemment, la compagnie a mis en vente le Lynx Lauréate en visant le marché de la petite gestion. Construit autour du Z80, l'appareil peut accueillir le système d'exploitation CP/M; l'utilisateur a donc accès aux innombrables logiciels qui ont été écrits pour lui au cours de ces dix dernières années. C'est là un argument de vente important, la micro-informatique de gestion étant inconcevable sans programmes appropriés. Le Lauréate est par ailleurs compatible avec les deux modèles précédents, et un bus d'extension à quarante voies autorise l'usage de très nombreux périphériques : imprimante en parallèle, manche à balai, logiciels implantés sur cartouche ROM.

Camputers — actuellement présidée par Stanley Charles — a également l'intention de lancer sur le marché une nouvelle version du Lauréate, cette fois sous forme intégrée (et non plus modulaire, comme c'est le cas actuellement). Le Lynx 48 devrait ressortir en Grande-Bretagne, sous le nouveau nom de Leisure : la compagnie est en effet désireuse de s'implanter véritablement sur le marché de la micro-informatique domestique. Les chercheurs travaillent aussi à une machine qui devrait pouvoir concurrencer le QL de Sinclair. Mais les graves difficultés que rencontre Camputers (on parle d'un déficit d'un million de livres sterling) risquent de faire s'évanouir tous ces projets! Ce n'est d'ailleurs pas la seule société britannique d'informatique qui rencontre des difficultés.



Tandy - Du détail au gros


Tandy est devenu ces dernières années l'une des plus grosses chaînes de vente au détail du monde, et propose aussi bien des microordinateurs que de multiples produits électroniques.




Tandy Corporation possède 392 centres informatiques et plus de 5 500 boutiques de vente au détail, dans 76 pays différents; l'ensemble de ce réseau constitue la chaîne Tandy and American Radio Shack. Par ailleurs, 29 de ses usines produisent des articles mis en vente sous ces deux noms.

Pourtant Tandy n'avait à l'origine rien à voir avec l'électronique. Fondée en 1927 par Norton Hinckley et David Tandy, la Hinckley-Tandy Leather Company avait en effet pour ambition de fournir du cuir aux cordonniers de Beau-mont, dans le Texas. Ce n'est qu'en 1963 que Charles Tandy, le fils de David, eut l'idée de prendre des parts dans une petite entreprise de Boston, Radio Shack, qui connaissait alors des temps difficiles. Depuis les années vingt elle proposait aux radio-amateurs et aux passionnés d'électronique toutes sortes de composants électriques. Elle disposait de neuf points de vente dans la région de Boston, et réalisait la plus grande part du chiffre d'affaires grâce aux ventes par correspondance; mais elle était largement déficitaire. En quatre ans Charles Tandy parvint à passer de 4 millions de dollars de pertes à 20 millions de dollars de bénéfice.

L'étape suivante fut l'achat par Tandy d'une chaîne de grands magasins nommée Leonards; la compagnie s'introduisait ainsi dans le marché des composants électriques destinés au simple consommateur. C'est un domaine qui a été suivi au point qu'aujourd'hui le catalogue de Tandy comprend 396 articles relatifs à l'informatique, et 2 625 autres produits, qui vont des résistances aux appareils haute-fidélité, en passant par les synthétiseurs.
Tandy s'installa en Grande-Bretagne en 1973, et y devint rapidement un détaillant apprécié de composants électriques. En 1978, lors du lancement de son premier ordinateur, le TRS-80 Modèle I, il possédait 120 boutiques en Angleterre; ce chiffre était passé à 227 en 1983.
Le Modèle I fit aussitôt de Tandy l'un des plus importants constructeurs d'ordinateurs. C'était une machine équipée d'un microprocesseur Z-80, d'au moins 4 K de RAM et d'un écran noir et blanc pourvu d'un graphisme basse résolution. Elle pouvait être connectée à des lecteurs de disquettes, et ses utilisateurs pouvaient même y faire tourner le fameux système d'exploitation CP/M.

Depuis, Tandy s'est toujours efforcé de ne jamais se laisser distancer, sans pourtant retrouver la position dominante que lui avait valu cet appareil. La firme s'aventura ainsi sur le marché de l'informatique de gestion avec le Modèle IL Aujourd'hui, elle propose le Modèle 12 et le Modèle 16, qui sont tous deux des 16-bits, ainsi que le nouveau Modèle 2000, qui est un compatible IBM. Le Modèle III, version « supérieure » du Modèle I, peut être décrit comme un ordinateur domestique coûteux, ou comme un ordinateur de gestion bon marché. Tandy l'a remplacé par le Modèle 4 (et sa variante portable, le 4P). Ces deux derniers appareils, bien que destinés essentiellement aux milieux d'affaires, restent compatibles avec les modèles I et III — un fait trop rare pour n'être pas signalé! La série des TRS-80 dispose ainsi d'une très vaste gamme de logiciels.
Tandy a également tenté de revenir en force sur le marché de l'informatique individuelle avec le Color Computer, construit autour du microprocesseur 6809. Il s'est très bien vendu aux Etats-Unis. Une variante simplifiée et remise à jour, le Micro Color Computer, montre bien que la firme n'a pas renoncé à ses objectifs en ce domaine.

Elle fabrique aussi des ordinateurs portables, qui constituent sans doute la part la plus intéressante de sa production. Elle commença d'abord par vendre des calculatrices de poche basées sur les modèles de la gamme Sharp. Plus récemment, un contrat d'association avec une autre compagnie japonaise, Kyocera, et la célèbre firme Microsoft lui a permis de lancer le Modèle 100, alimenté par batteries. Il a la taille d'un livre, dispose d'un basic résident, d'un traitement de texte, d'un agenda et de logiciels de communication.

L'avenir paraît sourire à Tandy, qui s'apprête à sortir une gamme de nouveaux produits mis au point dans son centre de recherches de Fort Worth, au Texas (où elle s'est désormais installée), ainsi que dans sa filiale TC Electronics Corporation, basée à Tokyo. Tandy Corporation, avantagée à la fois par ses vastes capacités de production et son important réseau de détaillants, semble être idéalement placée pour tirer le meilleur parti de tous les progrès à venir de la micro-électronique, et tout indique qu'elle sera, à long terme, parmi les rares élus du marché de la micro-informatique.

L'arme d'ORIC


Oric Products International fut créé pour concurrencer Sinclair Research. Mais la compagnie prit un mauvais départ, en raison d'erreurs de conception et de problèmes d'approvisionnement.




Fondé en 1982, Oric bénéficiait à la fois de l'expérience commerciale de Barry Muncaster (directeur) et de Peter Harding (responsable des ventes), et de la compétence technique du Dr Paul Johnson (matériel) et de Paul Kauf-man (logiciels). L'Oric-1, lancé par la firme, était une sorte d'équivalent du Sinclair Spec-trum, mais construit autour d'un 6502. Il existait en deux versions (16 et 48 K), et offrait plusieurs avantages face à son concurrent : meilleur clavier, boîtier plus solide, graphisme et sons bien supérieurs. Son basic résident était une variante du langage Microsoft standard, celui qu'utilisent des ordinateurs comme le Vic-20 ou l'Apple. L'appareil possédait aussi une interface imprimante Centronics standard, qui permettait de le connecter à de véritables engins de ce type.

Malheureusement, la compagnie se vit presque aussitôt confrontée à de sérieux problèmes, dus à des retards de livraison, et à certaines faiblesses techniques. Les premiers exemplaires avaient des difficultés de chargement, et l'affichage écran était instable.

L'Oric-1 connut donc des débuts difficiles, et les logiciels étaient rares. Tansoft travailla d'arrache-pied à l'équiper de langages variés, comme l'Assembleur et le forth. Aujourd'hui l'Oric est pourvu d'un catalogue de programmes respectable.

Il devait aussi y avoir de nombreux périphériques, tels qu'un modem, des lecteurs de disquettes et une imprimante. Cette dernière fut la seule à faire son apparition sur le marché; c'était une imprimante/table traçante à quatre couleurs. L'Oric-1 ne se fit donc une réputation qu'au bout d'un certain temps. Il semble surtout s'être vendu en dehors de la Grande-Bretagne : en 1983, sur les 170 000 exemplaires fabriqués, plus de la moitié était exportée, en France surtout, où l'appareil est extrêmement populaire, peut-être en raison d'un moniteur vidéo de type RGB (« Red Green Blue ») qui fonctionne sur les téléviseurs français, contrairement à la plupart des micro-ordinateurs britanniques. Un Oric-1 spécialement conçu s'est de même très bien vendu au Japon.

Quinze mois après la sortie de ce premier modèle, la compagnie décida de procéder à une profonde transformation, qui résoudrait les problèmes rencontrés jusque-là. Elle lança donc l'Oric Atmos, pourvu d'un véritable clavier et où la ROM en basic était revue, mais qui reste par ailleurs le même appareil, simplement modifié extérieurement.

Il faudra attendre encore un peu : de nouveaux problèmes sont venus ternir le bel optimisme du début. Les lecteurs de disquettes tardent à venir, et l'Atmos, comme son frère aîné, ne maîtrise pas toujours le chargement et la mise en route des programmes.


Jack Tramiel - Seul maître à bord


Jack Tramiel, grand patron de Commodore, a passé les rênes à Irving Gould. Il quitte une compagnie florissante. Comment a-t-elle pu arriver à des résultats qui font pâlir d'envie la concurrence?




Le secret de la réussite de Commodore tient avant tout à ses méthodes de production, organisée à l'échelon international. En Grande-Bretagne la firme a ainsi monté, dans l'ancienne ville sidérurgique de Corby, une usine très moderne, avec l'assistance financière du gouvernement britannique : elle devrait s'agrandir prochainement. Elle emploie deux cent cinquante personnes et produit cinq mille ordinateurs par jour. Comme toutes les usines de Commodore, elle bénéficie d'un approvisionnement assuré en semi-conducteurs : ils sont produits par la maison mère elle-même. Commodore est une organisation énorme et peut, au besoin, imposer des conditions draconiennes aux autres fournisseurs : dans certains cas la firme ne paie que la moitié du prix demandé aux autres
.
Une position aussi solide doit beaucoup au succès du CBM PET {Personal Electronic Tran-sactor, « opérateur électronique personnel »). L'appareil était dû avant tout à Chuck Peddle, qui prit à cette occasion trois décisions importantes. La première était de construire la machine autour du microprocesseur 6502; la deuxième était d'y implanter le basic Microsoft; la troisième était de le doter d'un véritable éditeur d'écran, bien plus maniable que les simples claviers manipulés avec passion par les premiers amateurs depuis l'apparition des premiers microprocesseurs vers le milieu des années soixante-dix. Aujourd'hui encore, l'IBM PC, ordinateur « de nouvelle génération », est dépourvu, dans sa version de base, de ce dispositif...

Commodore était bien placé pour fabriquer un tel appareil, puisque MOS Technology, détentrice des brevets du 6502, lui appartenait. C'était là une position exceptionnelle : les deux concurrents du PET, le TRS-80 et l'Apple II, faisaient usage de ce microprocesseur, ce qui permettait de leur tenir la dragée haute. Mais la naissance du PET n'eut pas lieu sans difficultés. Contre l'avis de Peddle, Tramiel insista pour que les composants mémoire soient aussi fournis par MOS Technology; il s'ensuivit un vif affrontement entre les deux hommes, puis le départ de Peddle.

Le PET est aujourd'hui un ancêtre vénérable. D'abord logé dans un boîtier d'acier embouti (comme les meubles de bureau), il a ultérieurement été relogé dans un ensemble en plastique plus moderne. La version la plus récente est celle de la série 8000, qui peut accéder à une mémoire de 22 mégaoctets sur disque dur. En dépit de son âge, l'appareil se vend encore remarquablement bien aux consommateurs prudents, qui en apprécient la facilité d'emploi et ne voient pas de raisons de passer aux ordinateurs de bureau construits autour du 8088 d'Intel. Les fournisseurs déclarent même, à leur grand étonnement, qu'il est toujours compétitif face à l'IBM PC.

Il y a là une certaine part de hasard. Commodore, Apple et Tandy furent les premières firmes à proposer un ordinateur personnel d'emploi aisé et de prix raisonnable. Mais, une fois que Commodore s'est trouvé un client, il ne le lâche plus. A la fois par conservatisme et par désir de limiter les prix de revient, la compagnie ne s'est jamais souciée d'accroître les possibilités de ce qui n'était qu'un appareil pour amateur. Aussi, bien des programmes du PET peuvent-ils tourner sur les machines actuelles, tandis que le basic 2.0 de Microsoft reste très largement ce qu'il était du temps de Chuck Peddle.

Malheureusement pour ceux qui veulent aller plus loin, le 2.0 de Microsoft fut mis au point à une époque où le son et le graphisme étaient un luxe inabordable pour un ordinateur bon marché. Le Vic-20 et surtout le Commodore 64 en sont désormais très bien équipés, mais il leur manque des commandes spécifiques, ce qui impose de fastidieuses séries de POKE dans les adresses mémoire. Il est vrai qu'on peut toujours recourir à des programmes spécialisés installés sur cartouche. Commodore en propose en grand nombre.

C'est en partie grâce à un approvisionnement en composants assuré que la firme de Jack Tramiel est sortie victorieuse de la guerre des prix qui fut fatale à ses concurrents. Texas et Mattel se retirèrent du marché des micro-ordinateurs, et Atari est toujours en convalescence depuis un an ou deux. Commodore pouvait annoncer des baisses importantes sur les matériels et les logiciels et faire encore des bénéfices : il fut un temps où ses cartouches étaient vendues le tiers du prix moyen de celui de ses adversaires. Une production ultramoderne, automatisée, des composants peu coûteux, tout cela était le résultat de vingt ans d'expérience. On dit que le coût de production d'un Commodore 64 est inférieur à 500 francs...

Cette position dominante ne doit pas grand-chose à la chance. Commodore a connu des moments difficiles et a été deux fois au bord de En 1975, après deux décennies consacrées à la vente d'équipement de bureau, Commodore faillit succomber lors de la féroce guerre des calculatrices, que les Japonais finirent par remporter. Mais Tramiel, que ses méthodes de gestion font à la fois craindre et respecter, ne s'avoua pas vaincu. Il se rendit compte que le marché de l'ordinateur personnel existait, engagea Chuck Peddle en 1976, et en moins de dix ans multiplia par cinquante la valeur financière de sa firme.
Commodore, malgré sa puissance industrielle et commerciale, a une grosse faiblesse : la recherche. Sa philosophie a toujours été : « Nous vendons aux masses, pas aux classes », et Tramiel pensait que le client achèterait forcément ce qui offrait le meilleur rapport qualité/prix. Mais produire aux prix les plus bas possibles n'est peut-être pas un moyen très sûr d'intégrer les derniers progrès de la technologie. A la fin de 1982, plusieurs membres de la petite équipe de chercheurs de la firme la quittèrent en bloc, et, depuis, elle s'efforce de racheter des brevets aux autres. Elle a ainsi conclu des contrats en Extrême-Orient pour des lecteurs de disquettes, a engagé des pourparlers avec des compagnies comme Sony pour se procurer de coûteuses technologies « de cinquième génération », comme un système de reconnaissance de parole, des mémoires sophistiquées ou des robots domestiques.

En 1984, Commodore reste plus confiant que jamais, et continue à faire de la simplicité et du bon marché ses principaux arguments. La firme a présenté récemment deux nouveaux appareils construits autour d'un nouveau microprocesseur, le 7501 : il s'agit du 264 et du V-364, ce dernier étant équipé d'un synthétiseur de parole, avec un vocabulaire de deux cent cinquante mots. Conformément à la tendance actuelle, traitement de texte, tableur et graphisme seront disponibles en option.


Les grandes dates de Commodore

1977
Le PET fut le premier micro ordinateur grand public. Il se vend toujours très bien, après de nombreuses améliorations.

1979
Le Vic-20, premier microordinateur Commodore très bon marché, a réussi sa percée en dépit de ses limites et d'une très forte concurrence.
Le SuperPET (ou CBM 9000) était une tentative de modifier totalement le PET original afin d'en faire une machine de bureau.

1981
Le CBM 8032 offrait un affichage de 80 caractères, ce qui lui permettait de faire tourner des logiciels commerciaux sophistiqués

1982
Longtemps attendu, le CBM 700 doit remplacer le 8032 et permettre à Commodore de se maintenir sur le marché des ordinateurs de bureau.

1983
Le Commodore 64 met fin
aux restrictions dont souffrait le Vie, en proposant un affichage de 40 caractères et 64 K de mémoire.

1984
Le SX-64 est une version portable du 64, dotée d'un écran couleur et d'un lecteur de disquette intégré.


Jack Tramiel
Jack Tramiel, longtemps président de la compagnie, en a toujours été l'âme. Sa redoutable compétence commerciale va manquer à Commodore, maintenant • qu'il n'est plus que « conseiller à temps partiel ». 

Chuck Peddle
Chuck Peddle a conçu à la fois le microprocesseur 6502 et le PET qui l'abritait. Il partit ensuite fonder sa propre compagnie, qui produisit le Sirius, un 16-bit orienté vers la gestion.

Imagine Software - L'imagination règne


Imagine Software, société créatrice de logiciels, est née fin 1982 en Grande-Bretagne. Son succès est un exemple. Il peut être médité de ce côté-ci de la Manche.




Comme toujours en de pareils cas, Imagine a percé en ce domaine grâce à la réunion de talents multiples. Les fondateurs, David Law-son et Mark Butler, tous deux de Liverpool, amenaient avec eux les deux éléments essentiels à toute entreprise commerciale : vastes connaissances techniques et sens des affaires.

Imagine s'est spécialisé dans la création de programmes destinés à la gamme d'ordinateurs Commodore. Quatre d'entre eux — Bewitched, Catcha Snatcha, Wacky Waiters et cet énorme succès que fut Arcadia — se retrouvèrent ainsi au même moment dans les dix premières places du hit-parade des jeux pour ordinateurs. Commodore ne s'est pas montré ingrat, et a même invité les responsables de la firme à visiter ses bureaux et son usine de Norristown (Pennsylvanie) en 1983, afin qu'ils puissent voir de près le 264 et le V364, deux appareils qui seront bientôt commercialisés. Ils sont destinés aux amateurs de jeux, et jusqu'à présent Commodore a résisté à la tentation de monter les prix dans l'espoir d'attirer les utilisateurs intéressés par la petite gestion. Cette jeune compagnie qu'est Imagine a ainsi connu la consécration : la firme de Jack Tramiel lui a, à l'issue de cette visite, commandé deux programmes de jeux.

En grande-Bretagne, par contre, c'est le Spec-trum qui dispose de la ludothèque la plus vaste. Mais Butler et Lawson n'ont pas toujours entretenu les meilleures relations avec sir Clive Sinclair. Lorsqu'ils quittèrent Bug-Byte, la firme où ils avaient fait leurs premières armes, ils lui rendirent visite mais ne purent parvenir à un accord de collaboration. La politique d'Imaginé est que tous ses jeux peuvent être convertis pour un appareil nouveau, sans qu'il y ait besoin de modifier autre chose que les adresses mémoire de certaines parties du programme.

Le QL est construit autour du 68000 de Motorola, et les programmeurs qui en ont une connaissance réelle sont déjà employés ailleurs, ou enseignent l'informatique dans les facultés. Psion, la compagnie à qui on doit les quatre programmes qui accompagnent l'appareil, a bénéficié d'une avance d'un an : les caractéristiques du QL lui ont été communiquées au préalable, et ses ingénieurs ont utilisé un mini-ordinateur Vax pour en reproduire les particularités.

Afin de recruter des programmeurs capables de maîtriser le 68000, Imagine a cherché à pourvoir de nombreux postes par l'intermédiaire des petites annonces, mais les résultats ont été décevants. Malgré un nombre énorme de candidatures, peu de postulants avaient plus de quelques mois d'expérience, et beaucoup d'entre eux se révélèrent incapables de traduire ne serait-ce qu'un seul jeu en langage machine. Il était difficile, dans ces conditions, de lancer une nouvelle génération de projets de programmation !

Imagine semble aujourd'hui vouloir s'introduire sur le marché du logiciel de gestion, plus lucratif, mais où la compétition est sévère. C'est en fait le résultat de manœuvres d'approche faites par Apple. D'abord surprise, la firme de Liverpool n'a pas tardé à saisir la philosophie de la célèbre compagnie californienne : présentation sur écran de menus d'usage facile, emploi de fenêtres et d'« icônes » contrôlées par une souris. Elle a donc fait de même pour nombre de ses jeux, dans lesquels le graphisme et l'action — qui n'est jamais contrôlée à partir du clavier — constituent des facteurs clés.

Imagine connaissait parfaitement la technologie huit bits d'Apple : depuis ses débuts, tous ses programmes étaient rédigés sur des Apple Ile. C'étaient là des conditions idéales pour une collaboration fructueuse. La firme a par ailleurs fait l'acquisition de plusieurs ordinateurs Sage IV, pour accroître la vitesse de traitement et la puissance de calcul. Dave Law-son a écrit certains programmes, à leur tour utilisés pour la création de jeux; et ceux-ci subissent ensuite une compilation croisée (ils sont compilés sur une machine afin de pouvoir tourner sur une autre). Le Sage IV est pourvu d'une RAM installée sur disque à grande capacité, ce qui est inestimable lorsqu'on doit travailler en langage assembleur. Utiliser un tel appareil permet d'économiser le temps que les programmeurs passent d'habitude à attendre que les programmes soient compilés. Le Sage dispose également du système P de l'UCSD (université de Californie à San Diego), qui met en œuvre le langage pascal grâce auquel on peut simuler le fonctionnement du Mac Intosh et de Lisa. Tous deux, en effet, ont recours au pascal à Parrière-plan. Ce terme, comme celui de « premier plan » s'applique aux ordinateurs sur lesquels on peut faire tourner plusieurs programmes à la fois. Le programme « de front » a toujours la priorité, mais dans certaines conditions le programme « de fond » peut être mis en route.

Comme bien d'autres firmes, Imagine s'est intéressé au langage C, extrêmement sophistiqué, et surtout transférable : sa structure modulaire le rend particulièrement apte à la réalisation de logiciels de fonctionnement des systèmes.

Il est difficile de trouver des programmeurs ayant à la fois l'expérience du langage C et de l'ordinateur Sage. Imagine prospecte donc les universités et les milieux de l'informatique dans l'espoir de rencontrer des gens suffisamment compétents en ce domaine.

La formule gagnante

Qu'est-ce qui fait le succès commercial d'un programme? Sans doute une sorte d'attrait instructif. Lorsque Mark Butler et Dave Lawson décidèrent d'unir leurs efforts et de créer Imagine, ils tirèrent parti de leur expérience au sein du Bug-Byte, où l'on pratiquait intensément le « brainstorming » en essayant de se mettre à la place du fanatique de jeux. C'est là un point capital, et il est absolument nécessaire de se poser des questions du genre : « Si c'était mon premier ordinateur, et que je l'aie depuis un mois, ou six mois, qu'est-ce que je demanderais à ce jeu? Pourquoi y jouerais-je, et combien de temps? Est-ce que j'aimerais les effets sonores, ou tel effet graphique à tel endroit de la partie? » Le concepteur doit être capable, mentalement, de réfléchir comme le client potentiel.

La firme est désormais trop importante pour que deux personnes puissent à elles seules concevoir tous les programmes de jeux, et une équipe de huit graphistes s'en charge, travaillant à l'animation, bâtissant des intrigues pour de nouveaux produits, qui sont ensuite testés par le personnel — mais pas par les programmeurs : à ce stade, les considérations techniques sont tout simplement superflues.

Bien des gens ont malheureusement appris à ne pas payer pour un jeu. Le piratage est un problème bien réel : on estime que pour une cassette vendue commercialement, sept copies sont réalisées. Il suffit la plupart du temps d'opérer un simple transfert d'une bande à l'autre. On peut, bien entendu, empêcher ou limiter de telles pratiques par des mesures préventives, mais elles sont onéreuses, et le consommateur devra donc en supporter le coût. Imagine perd de l'argent de cette façon, mais comme les ventes officielles restent malgré tout très importantes, la firme n'a pas encore pris de décision.

Il se peut d'ailleurs que la cassette disparaisse bientôt, supplantée par la disquette et la cartouche. On peut même envisager des méthodes de distribution entièrement nouvelles : un ordinateur central pourrait être relié à un appareil domestique par l'intermédiaire des lignes téléphoniques qui transmettront la télévision par câble. 

Une compagnie qui veut prospérer au cours des années qui viennent doit dès aujourd'hui tenir compte de tous ces changements.


Catcha Snatcha

Destiné au Vic-20, ce jeu met en scène le détective d'un grand magasin; il doit capturer des voleurs, retrouver des objets perdus, rendre les enfants égarés à leurs parents. C'est à la fois une poursuite et un jeu de labyrinthe.


Bewitched
Encore un labyrinthe, mais un peu différent en ce sens que pour progresser il faut parfois réussir à ouvrir des portes. Pour compliquer les choses, certaines restent d'ailleurs obstinément closes. Les couloirs sont fréquentés par des fantômes qu'il vaut mieux éviter.



ACORN - Petit à petit...


Acorn Computers a produit deux des plus beaux exemples de la micro-informatique britannique : le BBC Micro et l'Electron.
Il y a quelques années à peine, cette firme naissait.





Le fondateur d'Acorn, Chris Curry, est un ancien employé — et un ami très proche — de sir Clive Sinclair, qui l'engagea en 1965 pour le salaire royal de 11 livres par semaine (environ 150 francs!).

Devenu employé de la Sinclair Radionics, Curry, ingénieur de recherche, fut nommé responsable d'un projet qui aboutit à la mise sur le marché de la calculatrice Executive, en 1971. Au cours des cinq années qui suivirent, il se consacra à la mise au point de machines de ce type, où l'on voit aujourd'hui les ancêtres directs des micro-ordinateurs domestiques. En 1975, Sinclair Radionics cessa toute activité, et Curry s'associa avec Sinclair pour une nouvelle opération nommée « Science in Cambridge » : il s'agissait de vendre des composants électroniques sous forme de kits.

Une calculatrice montre-bracelet se vendit particulièrement bien. Mais Curry s'intéressait aux ordinateurs construits à partir d'un circuit imprimé, tels qu'ils commençaient à apparaître aux États-Unis. Il entreprit d'en construire un.


Ce fut le MK 14 (microprocesseur à 14 puces, livré en kit), qui comprenait un microprocesseur de chez National Semiconductors, une RAM de 256 octets, une petite ROM abritant un programme moniteur, et les composants nécessaires pour un affichage à huit chiffres, utilisant des diodes électroluminescentes.

Curry s'aperçut aussi que la compagnie était sans cesse amenée à fournir conseils et idées aux amateurs d'électronique qui lui téléphonaient; il décida d'engager Herman Hauser, qui préparait alors un doctorat à Cambridge, afin de s'occuper de ces problèmes. Mais il eut bientôt de profondes divergences avec Sinclair, et décida de fonder sa propre compagnie. Ce fut la Cambridge Processor Unit (en abrégé CPU; allusion à central processing unit, « unité centrale »). Hauser devint son associé, et tous deux, installés dans un petit bureau de Bridge Street, à Cambridge, se firent experts-conseils en électronique et en informatique.

Le succès du MK 14 et l'évolution du marché aux États-Unis montraient clairement que les amateurs étaient à la recherche d'un ordinateur intégré dans un boîtier, et qui parlerait Basic. Au cours d'un projet pour un client, CPU avait rédigé une version très rapide de ce langage, destinée au contrôle des machines; la firme décida de l'implanter sur un appareil qu'elle mettrait en vente. Ce fut l'Atom, et à cette occasion CPU prit le nom d'Acorn. Il s'agissait avant tout de conquérir le marché éducatif; mais beaucoup de lycées estimèrent que le basic utilisé différait par trop des standards établis par Microsoft pour pouvoir être acceptable. Toutefois l'Atom eut beaucoup de succès auprès des particuliers. Une version améliorée, le Proton, fut mise au point à l'intention des laboratoires et des universités.

Le Proton en était au stade de préproduction lorsque, en 1981, Curry apprit que la B.B.C. était à la recherche d'un appareil permettant la mise en application de ses cours d'informatique. Il devait être d'usage facile, même pour les débutants, avoir de grosses possibilités, et pourtant rester de prix raisonnable (le prix imposé était de 200 livres, soit environ 2 500 francs).

Curry entreprit non d'améliorer encore le Proton, mais de construire quelque chose de nouveau, qui ferait la démonstration des capacités du microprocesseur 6502. Après une lutte sans merci face à Sinclair Research (qui proposait le Spectrum), Acorn obtint le contrat, et sortit le micro-ordinateur BBC.




Le futur, c'est l'avenir ( Xerox )


Xerox, la grande firme de matériel reprographique, fut l'une des premières à s'aventurer dans le domaine de la bureautique. Son excellente réputation est un atout majeur.




Au début des années soixante-dix, Xerox mit sur pied un vaste programme de recherche visant à réaliser un vieux rêve : disposer de l'information à volonté, comme l'électricité ou l'eau courante. Elle rassembla une équipe de chercheurs auxquels elle laissa carte blanche, et prit soin de les installer à Palo Alto, en Californie, c'est-à-dire le plus loin possible de ses propres quartiers généraux de Rochester, dans le New Hampshire.

L'idée se révéla fructueuse. Le PARC (Palo Alto Research Center) se trouvait dans le comté de Santa Clara, non loin de l'université Stand-ford, dont le département d'informatique était à l'avant-garde des recherches sur l'intelligence artificielle. La nouvelle communauté attira bientôt quelques-uns des meilleurs cerveaux de l'endroit et de nombreux étudiants de valeur passèrent sans effort de la pure théorie à la recherche industrielle. Le PARC devint même le centre de la nouvelle culture informatique; on y parlait un jargon accessible aux seuls initiés. Plusieurs produits de Xerox en cours de développement se virent dotés de noms de code facétieux : la série de micro-ordinateurs 820 fut ainsi appelée Worm, « le ver », parce qu'il devait « croquer la Pomme ».

L'équipe de recherche s'efforçait avant tout de mettre au point un « réseau » local. L'idée est aujourd'hui familière, mais les premières expériences de Xerox en ce domaine (à Hawaii à la fin des années soixante) avaient pour l'époque quelque chose de révolutionnaire. Connecter un gros système et un terminal était très onéreux, en raison du coût du câblage permettant une communication très rapide; et des problèmes se posaient dès que la longueur des câbles dépassait vingt mètres. Il était bien sûr possible de se servir du réseau téléphonique, mais cela restreignait l'échange de données à 9 600 bauds.

L'objectif du PARC était un réseau qui relierait entre eux des petits ordinateurs; il aurait une vitesse d'accès raisonnable, et l'utilisateur disposerait ainsi d'une plus grande puissance de calcul, tout en pouvant se raccorder à des appareils plus gros, à des mémoires sur disques durs, à des traceurs ou des imprimantes, autant de dispositifs coûteux. Ce fut l'idée de base derrière le réseau local Ethernet.

Les connexions y étaient réalisées grâce à un câble coaxial conventionnel, qui peut transférer 10 millions de bits par seconde, et se montre bien adapté à la transmission de sons numérisés, de graphismes et de données. De plus, le système pouvait s'étendre sur cinq cents mètres sans avoir besoin de relais amplificateurs. Un simple branchement permettait de se raccorder au réseau, ce qui lui donnait une souplesse exceptionnelle.
Le réseau lui-même, sous sa forme tangible, reste passif : toutes sortes de données y circulent, et un émetteur-récepteur installé sur chaque appareil détermine si telle ou telle information lui est bien destinée. Si c'est le cas, il décode le message et lui donne une forme acceptable pour l'appareil — qui peut être un microordinateur, une imprimante, un traceur ou tout ce qu'on désire.

Dès le milieu des années soixante-dix, Ethernet était opérationnel. Xerox pensa que l'appui d'autres grandes firmes permettrait au système de devenir un standard dans le domaine de la communication informatique. IBM, consulté, déclina une offre de participation. Digital Equipment accepta avec enthousiasme, et, en 1975, Intel se joignit à l'entreprise : soutien important, la firme se chargeant de mettre au point le microprocesseur qui équiperait l'émetteur-récepteur.

Ethernet fut d'abord testé en Suède, dans un établissement industriel expérimental : il passa brillamment l'épreuve, et fut adopté par bien d'autres constructeurs. Il est aujourd'hui un standard international reconnu et Hewlett-Packard, ICL en Grande-Bretagne, Siemens en Allemagne et Olivetti en Italie ont décidé de s'y rallier. Xerox a eu l'idée audacieuse d'en vendre les brevets pour 1 000 dollars seulement, afin d'imposer plus sûrement le système.


Avant LISA

Une des plus grandes réussites du PARC fut le STAR, un système de programmation qui recourait au langage smalltalk et qui opérait, en combinant programmes et données, au sein d'un même fichier. Le LISA d'Apple doit beaucoup à ce type d'étude.