samedi 16 avril 2011

Les pères fondateurs


Dans l'histoire du micro-ordinateur, matériels et logiciels connaissent des progrès extrêmement liés. En ce domaine, les créateurs ont autant d'importance que leurs produits.




Au cours de l'histoire, les changements technologiques ont plus d'une fois bouleversé les habitudes. Mais rien n'égale la vitesse à laquelle s'est propagée la révolution micro-électronique, même pas le développement de l'aéronautique, de Louis Blériot à la navette spatiale. En moins de dix ans, on est passé des premiers microprocesseurs peu performants aux 16 bits d'aujourd'hui.

Aux alentours de 1971, des responsables de firmes californiennes qui fabriquaient des puces électroniques estimèrent possible de faire tenir un ordinateur entier sur une simple couche de silicium. A cette époque, personne n'envisageait de grandiose révolution, ni ne parlait de « technologie de l'information ». On pensait simplement à construire un petit ordinateur bon marché, qui pourrait contrôler des machines-outils, ou des ascenseurs : les premiers modèles furent d'ailleurs construits dans ce dessein.

On attribue généralement à la société Intel la mise au point du premier microprocesseur, le 4004. Il s'appelait ainsi parce que c'était un processeur de 4 bits, qui manipulait les données par blocs de quatre chiffres binaires. Sa mémoire était très limitée — mais bien suffisante pour un programme de contrôle pour ascenseur.

Dès 1972, Intel avait mené à bien la réalisation du 8008, un 8 bits, et de nombreux fervents d'électronique songèrent à construire autour un ordinateur personnel. Des articles parus dans la presse spécialisée américaine expliquèrent comment procéder; sans écran ni véritable clavier, ces appareils furent quand même les premiers ordinateurs domestiques. Le premier modèle commercial, l'Altair 8800, vient de là. Mais, en fait, beaucoup de spécialistes considèrent que le véritable précurseur des micro-ordinateurs est le Micral français, construit en 1972.

L'année suivante vit naître le 8080, toujours dû à Intel, dans lequel il faut voir le premier « véritable » microprocesseur. Il manipulait des données par blocs de 8 bits et pouvait disposer d'une mémoire allant jusqu'à 64 K. Les autres firmes entreprirent de répliquer. Le 6800 de Motorola était très semblable, mais il obéissait à un jeu d'instructions différent. De là naquirent les inextricables problèmes de compatibilité entre logiciels : les programmes écrits pour le 8080 ne pouvaient tourner sur le 6800, et inversement.

D'autres compagnies, parmi lesquelles on peut citer National Semiconductor, Signetics et Advanced Micro Devices, s'étaient elles aussi lancées dans la production de puces. Mais le lecteur de cassettes pour servir de mémoire auxiliaire — bref, tout ce qu'il fallait. Ce fut le PET 2001, sorti en 1976, et dont le nom même (pet signifie « favori », « préféré ») entendait montrer que l'ordinateur pouvait s'adresser aussi au simple particulier.

Mais, au moment même où le PET était mis en vente, deux autres innovateurs s'affairaient au fond d'un garage californien. Steve Wozniak avait toujours rêvé d'avoir un ordinateur; la fréquentation d'un groupe d'amateurs, le Homebrew Computer Club, lui montra que c'était possible. Son premier modèle était construit à partir d'un simple circuit imprimé. Avec son ami Steve Jobs, il en fabriqua un certain nombre qu'il vendit. C'était l'Apple I (un boîtier muni d'un clavier), le père de l'Apple II, dont le succès allait être phénoménal. Apparu juste après le PET, l'appareil devait susciter la création de multiples entreprises vouées à la fabrication de matériels et de logiciels.

La firme Tandy, installée à Fort Worth (Texas), avait elle aussi des idées sur le sujet. Elle était déjà — elle est toujours — un gros producteur de chaînes haute fidélité, de postes de radio et de synthétiseurs : passer aux ordinateurs domestiques ne représentait pour elle qu'une simple extension du marché, en profitant de surcroît de sa chaîne de distribution nationale, les boutiques Radio Shack. C'est d'ailleurs pourquoi le modèle qu'elle mit en vente (ce fut aussi un énorme succès) s'appelait TRS-80 Model I : TRS signifie Tandy Radio Shack, et 80 fait référence au matériel utilisé, un Z80 de chez Zilog. Cette dernière firme avait mis au point un microprocesseur assez semblable au 8080 d'Intel, mais en lui apportant de nombreuses améliorations.

Le PET et l'Apple II étaient donc bâtis autour d'un 6502, tandis que le TRS-80 recourait aux services d'un Z80. Le marché de la micro-informatique se diversifiait déjà. Mais ce problème se doublait d'un autre : une puce donnée détermine un certain éventail de logiciels, d'où des incompatibilités inévitables. Avec l'établissement de standards concernant le matériel, le même phénomène se produisit au niveau des programmes.

En 1972, un jeune homme nommé Gary Kil-dall travaillait chez Intel comme consultant. Sa compagnie, Microprocessor Application Associates, mettait au point un langage de programmation qui devait permettre aux ingénieurs d'Intel de rédiger des programmes destinés aux puces produites par la firme. L'idée de Kildall était de relier un microprocesseur à un lecteur de disquettes 8 pouces et à un télétype, afin que chaque scientifique dispose de son propre ordinateur. Mais Intel préférait s'en tenir à l'utilisation d'un gros ordinateur en temps partagé.

Kildall et un de ses amis nommé John Torode construisirent eux-mêmes le dispositif, encore dans un garage californien. Torode réalisa la liaison entre le microprocesseur et le lecteur de disquettes, et Kildall rédigea le programme qui permettait au premier de contrôler le second, fonctionnant sous CP/M. Assurer la compatibilité avec celui-ci devint l'un des premiers objectifs des firmes de logiciels.

Les ordinateurs domestiques avaient par ailleurs besoin d'un langage de programmation permettant aux particuliers d'écrire leurs propres programmes. Le basic, né à l'université de Dartmouth, aux États-Unis, était facile à apprendre et constituait de ce fait un choix tout désigné.

Bill Gates, un universitaire de Seattle, mit au point sur une puce un interpréteur basic, capable d'assurer la traduction des instructions en langage machine. Sa compagnie, Microsoft, devint la plus grande créatrice de langages de programmation, tout comme Digital Research régnait sur les systèmes d'exploitation. La fortune de Gates était faite.

De multiples avancées technologiques continuèrent de voir le jour. Dan Bricklin et Bob Frankston écrivirent Visicalc, le premier tableur (ou feuille de calcul), au sein de leur compagnie, Software Arts. Ce programme, distribué par Personal Software et tournant sur Apple II, devint le best-seller des programmes d'application, à tel point que Personal Software changea de raison sociale pour devenir VisiCorp. Un traitement de texte produit par MicroPro, la compagnie de Seymour Rubinstein, et appelé Word Star, connut un succès analogue sur le marché des programmes tournant sous CP/M.

Tous ces logiciels étaient destinés à des ordinateurs qui devenaient sans cesse plus puissants, et surtout moins onéreux. Un Britannique installé aux États-Unis, Adam Osborne, d'abord journaliste et rédacteur technique, puis éditeur de programmes, lança un ordinateur portable orienté vers la gestion. Le prix en était intéressant, et par surcroît l'appareil était vendu avec plusieurs logiciels intégrés. Il y eut aussi sir Clive Sinclair, dont les ZX-80, ZX-81 et Spectrum, par leur prix extrêmement bas, ont permis à des millions de débutants d'aborder l'informatique pour la première fois.

Le lancement par IBM, en 1982, de l'IBM PC a fait naître aussitôt un nouveau standard : tous les constructeurs et toutes les firmes productrices de logiciels ont entrepris très vite de travailler pour lui, ce qui n'a pu qu'inciter l'acheteur à se tourner vers cet appareil.

L'IBM PC a d'ailleurs fait appel à de nombreux pionniers de l'époque héroïque. Son microprocesseur vient de chez Intel; les systèmes d'exploitation sont dus à Microsoft, de Bill Gates, et à Digital Research, de Gary Kildall; et Visicalc et Wordstar furent parmi les premiers logiciels installés sur la machine.

Steve Wozniak et Steve Jobs sont toujours à la tête d'Apple, en concurrence directe avec IBM, et font reposer tous leurs espoirs sur la technologie révolutionnaire de Lisa et du tout récent Mac Intosh (une sorte de version simplifiée de Lisa, valant aux alentours de 20 000 francs). Chuck Peddle a monté sa propre compagnie, Sirius, et a réussi à s'emparer d'une bonne part du marché britannique avant l'arrivée d'IBM. Il est cependant victime actuellement de graves difficultés financières.

Mais il fera encore parler de lui un jour ou l'autre. La brève histoire de la micro-informatique montre que les précurseurs survivent, même quand les multinationales s'efforcent de dicter les règles du jeu.






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